Poursuite dans les couloirs [Ikeda Risa, Anzai Ken]

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Bruyant. Le couloir est bruyant. Inondé de paroles, de cris et de rires. Les oreilles de Shizuna sifflent. Elle se pousse en baissant la tête lorsque deux adolescents la bousculent. Quelques bribes excusent sortent de bouche, par pur politesse et pour s’être mis en travers de leur chemin sans le savoir. Mais eux sont maintenant bien loin. Elle lève les yeux vers le bout du couloir et y voit un attroupement. Des gloussements et des piaillements hystériques se font entendre. Par curiosité, la jeune malade se dirige prudemment vers ce brouhaha. Que pouvait-il bien se passer ? Une bagarre ? Un couple ? De l’ijime ? Elle soupire, tente de s’infiltrer entre quelques élèves mais se fait rejeter en arrière. Encore une fois s’excuse, cependant toujours aucune réponse. Effacée, voilà ce qu’elle est. Aucun sentiment de rage ou de vie sur son visage, simplement une souffrance profonde, une émotion confuse et vide. Des traits faciaux marqués par l’anorexie qui disparaît lentement, bien trop lentement au goût de Shizuna, mais de l’embarras s’inscrit par la même occasion. Comme si elle était un fardeau pour qui compte l’approchait.

Elle se résigne tout de même déçue puis continue son chemin en évitant la foule. Mais au tournant, vers les escaliers, ses frêles jambes s’arrêtent et son front se redresse. Ce menton, ces lèvres, ces dents, ces joues, ces pommettes… De la surprise et un frisson parcourt son corps. Son entourage devient flou et la voilà maintenant en train de fixer le jeune garçon populaire, son coach. Anzai Ken. Dans sa tête des milliers de pensées se bousculent. En moins de quelques secondes, elle avait réussi à oublier toutes les chutes qu’on lui avait fait subir, les yeux étranges qu’elle avait dû supporter et mais aussi, les taquineries bien trop blessantes pour n’être que de simples plaisanteries.

Elle fait un pas en avant vers -son ami- mais encore une fois se fait doubler par de purs inconnus. Toutefois, ses sourcils se froncent légèrement, ne pourrait-elle jamais aller lui parler ? Elle réessaye encore une fois de se faufiler, se servant de sa maigreur pour se glisser plus facilement et contre toute attente réussit. Elle grimace. Pourquoi ? Pourquoi a-t-il toujours l’air si loin, si inaccessible ? D’une voix frêle et timide, elle chuchote :

‘’Anzai… Kun…’’

Elle s’en voulait, pourquoi abandonner si facilement ? Pourquoi fallait-il toujours qu’elle soit la perdante ? Elle se remet près des murs et le suit. Il rigole, il sourit. La brune sait que ce dernier n’est pas intéressé par la célébrité, qu’il est passionné par le basket et ne comprend pas pourquoi tout le monde en fait tout un plat… Ce qui fait qu’elle l’admire encore plus. À chaque occasion, à chaque problème, à chaque effort, elle pense à lui et à son optimiste. Elle se force pour ne pas trahir la tendresse et le peu de confiance qu’il existe entre eux. Malgré la souffrance, malgré la tristesse, malgré le dégout, elle souhaite honorer cette tendresse et cette gentillesse dont lui seul fait preuve.

Elle entreprend d’attraper un regard du jeune homme, peut-être comprendra-t-il qu’elle veut lui parler ? En dépit de toutes les fois où Shizuna avait eu l’impression que leurs pupilles s’étaient croisées, jamais avait-elle osé imaginer qu’il la scrutait. Elle se poste sur la pointe des pieds, continue de filer la queue-leu-leu qui s’est formé mais garde sa bouche close. Par embarras, par peur de détruire la réputation de son ami. Après tout, même si les gens savent qu’il la coach, elle se sent toujours et encore comme un poids pour lui. Et puis, elle veut poursuivre cet instant précieux. Ces lèvres étirées, ces joues devenues rondes. Il discute si facilement. Sûrement des gens de son club ou de sa classe.

‘’Oh non, je vais devoir bientôt rentrer.’’

Elle redescend son poignet, geste qui lui avait permis de vérifier l’heure, puis fait la moue. La fin des cours avait sonné, la corvée de nettoyage avait été remplie et maintenant elle se doit de rentrer chez elle. Alors qu’une nouvelle fois elle entreprend de se sauver, son cœur se pince et la voilà dans un cruel dilemme. Partir pour la maison ou foncer tête baissée pour dire à Ken son tout nouvel exploit ?
Elle porte sa main à son menton et penche encore plus la tête, perdant de vu quelques secondes le Kaze no Shounen.

*J’aimerai tant lui dire que je suis allé nager ce matin…*

Elle se remet droite, sa nuque tenant fermement son crâne droit et la voilà élancée dans le tas. Son sac à l’épaule, elle force le passage et arrive derrière lui, à un ou deux mètres. Elle se pétrifie. Encore ses pulsions… Toujours ses pulsions… Elle n’arrive jamais à les contrôler et au final ça retombe sur elle. Quelques filles viennent à côté d’elle et commence à se plaindre. La file continue son chemin et la japonais écoute à moitié la leçon qu’on lui fait. Son regard se perd sur le dos du basketteur.

‘’Désolée… Je suis navrée..’’

Elle fait quelques courbettes et se prépare à reprendre sa course mais une main saisit son épaule et des yeux noir se posent sur elle. Elle tremble et déglutit. Mince qu’avait-elle encore fait ? Allait-on encore la frapper ?

-Il a beau être ton coach, t’as aucune chance avec lui alors ne le colle pas !

Ses mots la blessent et elle retient quelques larmes. Pleurer pour si peu ? Hors de question. Ces filles ne comprennent pas ses sentiments et ne comprennent pas l’importance de Ken à ses yeux. Ses doigts resserrent la sangle du sac et elle jette un autre coup d’œil désespéré à l’adolescent qui n’avance que lentement dû à toutes ces personnes autour de lui. La fille sur-maquillée la secoue et -montre les dents-. Sa paume sur son épaule serre la fine épaule. Shizuna tait un gémissement de douleur entre ses dents et baisse la tête en signe de soumission. Que pouvait-elle y faire ? Elle lui dira demain… Demain… Elle ne voulait pas attendre demain. Obstinée comme elle est, c’est maintenant ou jamais.

Une dernière fois, malgré la douleur des longs ongles colorées et décorés pointus à travers sa chemise blanche, elle se tourne vers lui et lance un pas brutal en sa direction. Le résultat reste le même en revanche quelques insultes viennent sur le tas… Elle qui n’a pas d’ami, elle n’espérait pas non plus se faire des ennemis, alors pourquoi ?