Elle n’était pas de retour depuis longtemps, et déjà les rumeurs allaient bon train. Certains racontaient que la demoiselle avait abandonné son enfant, d’autres qu’elle l’avait confié à un millionnaire en échange de ses faveurs… Un grand n’importe quoi. Kaori en aurait probablement ri si elle avait été d’humeur à ce genre de stupidités. Et puis… Admettons que c’était nettement moins amusant quand il s’agissait de soi-même. Pourtant, elle continuait de marcher la tête haute. Ils n’allaient certainement pas la détruire avec leurs conneries. Qu’ils disent ou qu’ils pensent ce qu’ils voulaient. Elle s’en moquait. Ou faisait au moins semblant de n’en avoir rien à foutre, d’être totalement indifférente à ça. C’était difficile. Plusieurs fois, elle avait laissé ses émotions l’envahir lorsqu’elle s’était retrouvée entièrement seule. Elle voyait ça comme une faiblesse. Elle ne voulait pas qu’on puisse l’apercevoir dans cet état. Au moins, les hormones dues à la grossesse étaient parties. Ca facilitait les choses. Cette journée ? A côté de ce qu’elle avait vécu pendant neuf mois, ça n’était rien du tout. Et puis… Se maîtriser elle-même était beaucoup plus simple. Mais elle avait quand même besoin de repos. Finalement, tout ça était assez stressant. Elle y avait échappé pendant une petite semaine, à cause de son accouchement. Ou grâce, on ne savait jamais quel était vraiment le mot juste dans ce genre de situations. Le bébé se portait bien. Un garçon. Elle l’avait confié à une famille. Une vraie. Qui pourrait subvenir à ses besoins. Elle n’était ni riche, ni pauvre. Il ne manquerait pas d’amour, ne grandirait pas dans l’excès de quelque chose. Ses parents seraient présents. Et si un jour il voulait découvrir qui l’avait mis au monde et qui était son père, il le pourrait. Elle n’avait rien contre. Elle avait pris la meilleure des décisions. Certains et certaines l’assimileraient à de la lâcheté. Au contraire, Kaori avait été plus responsable que jamais.

Matinée difficile. Les cours, en eux-mêmes, restaient faciles. Mais il n’y avait pas que les élèves qui la voyaient d’un très mauvais œil aujourd’hui. Les professeurs s’y étaient mis aussi. Elle s’en moquait bien. Ou plutôt pas, mais il faudrait bien faire avec de toute façon. Kaori avait fait une connerie, elle assumait comme personne ne l’aurait fait à sa place. Elle ne fuyait pas, elle n’abandonnait pas. Elle récupèrerait tout ce qu’elle avait perdu. Il fallait simplement lui laisser un peu de temps. Oui. Au moins un peu. Qu’elle puisse récupérer, qu’elle puisse se reconstruire. Se dirigeant vers la cafétéria, elle n’avait une fois de plus pas prêté attention aux doigts pointés vers elle, aux moqueries qu’elle entendait pourtant parfaitement, aux surnoms qu’on lui donnait, aux regards noirs qu’on lui lançait. Bientôt, ces derniers n’eurent réellement plus la moindre importance. Parce que la personne qui avait ouvert les portes de la cafétéria en même temps qu’elle, c’était bien Hanazawa Shin. Super. Enfin, Kaori aurait bien du passer par là à un moment ou à un autre. Elle avait simplement espéré pouvoir repousser la confrontation au maximum. Le destin n’était visiblement pas avec elle. Déjà que Jeremiah était dans sa classe, il fallait en plus que Shin et elle aient l’envie de se rendre à la cafétéria en même temps. Ne lui décochant pas un mot, le regardant à peine, elle avait franchi les portes comme s’il n’était qu’un type comme les autres. C’était peut-être une erreur. Sûrement même. Mais que pourrait-elle bien lui dire ? Vu ce qu’il pensait qu’elle avait fait suite aux mensonges de la demoiselle, elle se voyait mal engager la causette avec lui. Alors finalement, peu importe ce qu’elle ferait ou ce qu’elle dirait, le résultat serait très certainement le même.

Derrière lui dans la file d’attente – oui, j’ai décidé que tu n’étais pas galant, mouahaha –, elle avait fixé son dos avant son regard n’enveloppe finalement toute la cafétéria. Les chuchotements ne s’étaient pas faits attendre. Evidemment. Shin et elle avaient formé un couple dans le passé. Même qu’elle avait joué le rôle de la pute volontairement, histoire qu’il ne s’inquiète pas pour elle après la rupture vue sa grossesse. Ce que certains verraient peut-être comme une sorte de bonne action, Kaori préférait l’interpréter comme l’incarnation du fait qu’elle détestait qu’on se fasse du souci pour elle. Elle avait toujours eu en horreur qu’on se mêle de ses affaires, ça n’était pas aujourd’hui qu’elle allait changer d’avis. Elle n’avait jamais su dire si elle l’avait aimé ou non. A l’époque, l’adolescente avait juste pensé qu’ils se correspondaient bien. Et c’était vrai. Elle avait même établi un record dans l’histoire de ses copines, puisqu’ils étaient restés ensemble pendant plusieurs semaines finalement. Peu importait. C’était du passé maintenant. Et disons qu’un bébé s’était un peu mis entre eux. Quoique de toute façon, ils ne seraient probablement pas restés ensemble jusqu’à maintenant. On n’en savait rien, vrai. Mais mieux valait se dire ça. Et connaissant Shin, bien mieux que ce qu’il pensait d’ailleurs, elle n’avait jamais pensé pouvoir lui faire ressentir de vrais sentiments. La question ne se posait donc pas.

Elle ne lui parlerait pas. Elle ne lui adresserait pas la parole à moins d’y être obligée. Ce qui serait le cas. Parce que là encore, elle le connaissait. Croisant les bras, Kaori avait poussé un soupir. Il la stressait, c’était un fait. Quoi d’autre ? Elle ne pouvait pas réagir autrement qu’en étant nerveuse. Et même si elle s’appliquait prodigieusement à ne pas le montrer, elle ne pouvait pas vraiment se le cacher à elle-même. Et puis Shin avait toujours eu ce foutu côté inquiétant. Ou impressionnant, peu importait. D’une certaine manière, elle l’avait elle aussi. Plus dans sa façon d’être aujourd’hui que grâce à sa réputation. Peu importait. Muette, elle n’avait rien dit, espérant presque qu’il ne se retourne pas. Ca ne lui ferait peut-être pas plaisir, mais ce serait toujours mieux qu’une énième dispute. Parce que s’il ouvrait la bouche, ça partirait forcément dans ce registre-là.