C’est donc moi qui vais devoir me farcir la tâche de te parler de cet abruti. Honnêtement, je ne sais pas ce que tu lui veux, et je m’en balance comme de ma première couche. Ce type, qui il est pour moi ? On s’en fiche aussi, je suis sortie de sa vie pour et pour de bon. Mais crois-moi, je le connais plutôt bien. Mais ne te méprends pas, ce n’est pas parce que je ne peux pas le voir que je ne saurais pas être objective à son sujet. Jung Su, c’est avant tout quelqu’un qu’on ne peut pas arrêter. Impossible. Même lorsqu’il fonce droit dans le mur. Un vrai crétin quoi. Il se monte la tête tout seul pour des conneries et trouve des solutions tout aussi ridicules que les problèmes. Comme quoi, si tu veux être son ami, mieux vaut que tu sois solide, parce qu’on est jamais à l’abri de dommage collatéraux. Et, faut pas croire, beaucoup serait prêt à vendre père et mère rien qu’en voyant sa petite bouille d’ange. Sauf qu’après avoir passé du temps avec lui, t’as qu’une envie, lui coller un poing dans sa mignonne petite tronche. Pourquoi ? Simplement parce qu’il ne sait qu’attirer les ennuis comme une merde attire les mouches. La comparaison n’est pas très glorieuse, je te l’accorde mais c’est le même principe, l’odeur en moins. Donc, je disais, il attire les ennuis et le pire, c’est que j’ai vraiment l’impression qu’il ne le fait pas exprès. Et je doute qu’il soit assez bon acteur pour avoir l’air aussi innocent dans des moments pareils. Alors oui, t’auras envie de lui en coller une si il t’arrive une tuile par sa faute, mais quand tu verras sa mine déconfite, t’oublieras même pourquoi tu lui en voulais. Je te le dis, si tu ne veux pas devenir dingue, reste loin de lui. A moins bien sûr que ce soit lui-même qui t’es choisi. Là, je ne peux plus rien faire pour toi. Je te l’ai dit, il est impossible de l’arrêter. Mais je te vois déjà me jeter des regards horrifiés, alors je t’arrête. Jung Su n’est pas non plus un monstre. Peut-être parfois insupportable, mais au fond, ce n’est pas un mauvais gars. Tout dépendra de l’importance qu’il t’accorde. Il a beau se retrouver toujours dans les ennuis jusqu’au coup, il veut toujours bien faire, il est plein de bonnes intentions, c’est juste qu’il ne sait pas vraiment comment y faire. Entre toi et moi, c’est surtout qu’il ne réfléchit pas vraiment aux conséquences de ses actes, mais qu’importe ? Le résultat reste le même. Donc, comme je te le disais, avec Jung Su, tout dépendra de la façon dont il te voit. Il a du mal à faire dans la demi-mesure, et je dois t’avouer un truc, il est désarmant de naïveté parfois. C’est à se demander d’où il sort. Tu comprendras vite et toi aussi tu finiras par te demander s’il a conscience que tout le monde n’est pas un bisounours. Alors, remercies-moi, parce que je vais répondre à cette question et ainsi t’éviter de longues heures de torture morale. Oui, il le sait, il n’est pas si stupide… pas à se points. Par contre, je peux te confirmer qu’il est idéaliste et qu’il espère pouvoir faire changer les gens. Tant qu’on y est, je peux aussi te le dire, il s’est pris pas mal de baffe dans sa vie à cause de ça. Tu sais ? S’il te tourne autour en prétendant l’inverse de ce que t’as l’habitude d’entendre, c’est qu’il y croit vraiment. Alors essaies de pas le remballer trop méchamment, il a pas eu une vie facile. Après tout, c’est encore un gosse. Je sais de quoi je parle, j’ai vécu avec lui pendant longtemps. Et j’ai aussi autre chose à te demander. N’abuses pas trop de sa gentillesse. Car oui, tu le comprendras vite, Jung Su est au fond vraiment gentil. Le mot exact serait même dévoué. S’il s’attache à toi, peu importe ce que tu en penses, tu pourras obtenir de lui n’importe quoi. Mais je dois quand même te mettre à nouveau en garde, si tu joues avec lui, tu risques de le regretter. C’est un peu la face cachée de Jung Su, celle que tu n’as pas envie de connaître, mais dont je vais quand même te parler. Si tu blesses Jung Su, il ne te pardonnera pas. Il ne donne pas de deuxième chance. Il s’investit trop, alors si tu le trahis il ne pourra pas revenir en arrière. Tu l’auras donc compris, il est très rancunier. Mais c’est même pire que ça, il fera tout pour te pourri la vie. Qu’importe si ses actions ne mènent nulle part, il s’arrangera pour que tu te souviennes de lui. Et si ces petites vengeances ne t’atteignent pas, il ouvrira sa jolie petite bouche pour te gueuler dessus. Et peut-être que de cette manière, tu comprendras à quel point du lui as fait mal. Mais saches une chose, s’il en arrive là, si un jour il te crie vraiment dessus, c’est que tu auras vraiment dépassé les limites, parce qu’il n’est pas du genre à gueuler aussi facilement.

Bien, maintenant que je t’ai un peu parlé de son comportement, je peux aborder ce qu’il a vécu par le passé. Je l’ai déjà brièvement évoqué, Jung Su n’a pas eu que des facilités dans la vie. Il est arrivé dans la famille 9 ans après moi. Maintenant, peut-être que ça t’éclaire un peu plus sur la relation que j’ai avec lui. A l’époque, je ne me doutais pas de ce notre famille allait devoir traverser. Et même si je sais aujourd’hui qu’il n’est en rien la cause de nos malheurs, je sais que ce n’est pas ce que je pensais à l’époque. Oui, Jung Su est mon frère cadet, mon seul et unique frère à vrai dire. Et le fait que sa naissance corresponde pile au moment où nous avons dû quitter la Corée pour le Japon, pour moi c’était clair. Dans mon esprit d’enfant, c’était de sa faute. Si je devais quitter tout ce que j’aimais, mon pays, ma ville, mes amis, ma maison. Je du tout laisser derrière moi, tout ça parce qu’il était né. C’était du moins ce que je pensais. Et j’allais le lui faire amèrement regretter. J’étais pourtant bien loin de la vérité. Tu sais, dans l’histoire, c’est moi la méchante, pas lui. Il n’avait rien demandé. Et si nous avions quitté la Corée, mes parents, lui et moi, c’était loin d’être de sa faute. En réalité, c’était la mienne. J’en avais trop demandé. Mais comment pourrais-je te l’expliquer ? Si tu le lui demande, Jung Su te diras toujours qu’il vient d’une famille pauvre. C’est vrai aujourd’hui, mais ça n’était pas le cas avant. Nous étions une famille aux revenus tout à fait corrects. Sans rouler sur l’or, nous n’avions pas de problème pour vivre. Jusqu’au jour où ma mère a perdu son travail. C’est là que tout a commencé. Ce que nous ignorions ma mère et moi c’est que mon père jouait. Ou plus exactement qu’il était accro aux jeux. Il a perdu des sommes énormes, il s’est endetter jusqu’au coup. Nous n’avons donc pas seulement déménagé, nous avons fui, tout simplement. Tu es certainement en train de te demander pourquoi je prétends que tout était de ma faute alors qu’il semble évident que c’est celle de mon père. Alors écoute la suite de l’histoire. Si mon père avait commencé à jouer aux jeux c’était pour répondre à mes caprices. Oui, je l’avoue, j’étais une petite fille pourrie gâtée. Il me fallait toujours tout et tout de suite. Pas étonnant que les revenus de mes parents ne puissent pas suivre. Mais ça, je ne pouvais pas le comprendre. Et mon père était tellement gaga de moi qu’il aurait fait n’importe quoi pour moi. Mais quand Jung Su est né, il a semblé se réveillé. Il ne s’agissait plus que de moi, je n’étais plus son unique enfant, sa petite princesse, il avait un bébé à protéger. La meilleure solution était de tout quitté pour tout reconstruire. Je sais que tout ça concerne ce qui s’est passé avant la naissance de Jung Su et que ce qui t’intéresse c’est lui et pas le reste. Mais il était essentiel que tu entendes ça avant de savoir la suite. Tu n’aurais pas compris sinon.
Jung Su n’a aucun souvenir de la Corée, tout ce qui témoigne du fait qu’il est coréen, c’est son nom. Quelques mois après notre venue au Japon, notre père a disparu. Laissant une simple lettre à ma mère dans laquelle il lui expliquait tout. Tout sauf la raison de sa soudaine disparition. Elle a alors cru qu’il avait été enlevé, à cause de ses dettes. Mais la raison était tout autre. Moi de mon côté, je continuais à penser que tout était de la faute de Jung Su. Ne me regardes pas avec des yeux pareils, je venais d’avoir 10 ans à l’époque et on ne m’avait rien expliqué, comment aurais-je pu savoir ? Jung Su a donc grandi dans cette atmosphère, ma mère, rongée par l’inquiétude et la tristesse et moi qui le détestait plus que tout. Je voulais qu’il se sente coupable. Et j’ai réussi, il a bel et bien grandit en pensant que notre situation était entièrement de sa faute. A lui non plus, ma mère n’a pas pris la peine de lui expliquer. Ce que j’aurais dû voir par contre, c’est que notre petit appartement, aussi petit soit-il, nous n’avions pas à le payer. Ma mère n’avait évidemment pas retrouvé de travail et nous devions nous contenter du minimum. Nul doute que c’est mon père qui payait le loyer de là où il était. Je l’ai compris aujourd’hui, s’il nous a laissé tous les trois, c’était pour nous protéger. Mon frère lui, ne me parlait que très peu, en fait, je n’ai vraiment découvert le son de sa voix que lorsque nous avons mis la main sur la lettre de notre père. La fameuse lettre qu’il adressait à notre mère.
Il devait avoir 13 ans. Et je ne me rendais compte qu’après toutes ses années que lui et moi n’avions rien d’un frère et d’une sœur normale. Nous vivions sous le même toit depuis tant de temps et pourtant, c’était comme si nous étions des étrangers l’un pour l’autre. Et ce qu’il m’a dit ce jour-là, je crois que ça restera graver dans ma mémoire pour longtemps encore, peut-être même pour toujours. « Tu sais, les dette de notre père, moi je les rembourserai et je ferai en sorte qu’il revienne à la maison. Notre famille… je veux la voir unie au moins une fois. » Sur le moment, ça m’a complètement scotchée, mais comprends-moi bien, je ne suis pas du genre à larmoyer sur des phrases comme celle-là. Et son rêve de famille, je n’en avais rien à faire. Je venais enfin de comprendre. Je m’étais trompée depuis le début. Mon père ne le disais pas clairement, au contraire même, il n’avait fait que dire qu’il n’était plus capable d’en supporter d’avantage et que la naissance de Jung Su lui avait faire comprendre qu’il ne pouvait pas continuer. J’aurai tout aussi bien continué à nier et à prétendre que c’était de sa faute. Mais n’aurais-je pas été aveugle ? Dis, qu’aurais-tu fais à ma place ? Moi, je n’ai strictement rien fait, j’ai simplement arrêté d’enfoncer mon frère, mais le mal était déjà fait. J’avais passé plus de 10 à lui faire comprendre que je le détestais et à le faire se sentir coupable. Si bien qu’il avait toujours une tête de chien battu quand il pénétrait chez nous, comme s’il se rendait à l’abattoir. Deux autres années se sont encore écoulées. Ma mère s’était transformée en loque vivante et le seul à encore garder l’espoir de voir revenir mon père, c’était Jung Su. C’est à cette période que notre relation à vraiment évolué. Je n’avais cessé de le garder à l’œil depuis que nous avions découvert la lettre. Parce que s’il se sentait coupable, après ce jour-là, moi aussi et j’avais peur qu’il ne fasse une connerie. C’est comme ça que j’ai découvert qu’il pensait réellement et stupidement qu’il était une mauvaise personne. C’est de là que lui vient son attitude envers les autres. Il pensait que personne ne pouvait faire plus de mal que lui qui avait détruit sa famille. D’ailleurs, même s’il n’en parle plus aujourd’hui, je suis persuadée qu’il le pense encore, qu’il croit toujours qu’il est la cause de nos problèmes familiaux. J’ai essayé d’en parler avec lui, mais le mal était fait.
Quand il est entré à Jiyuu, je me suis demandé comment il s’en sortirait. Si les gens n’allaient pas une fois de plus profiter de sa gentillesse. Mais il semblait plutôt bien s’en sortir. Jung Su était plus fort que je ne le croyais, plus fort que moi, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Quand il a entendu parler pour la première fois du coaching organisé dans lycée, ça a été un non catégorique. J’étais persuadée qu’avoir quelqu’un pour l’épauler pourrait lui être utile. Quelqu’un qui pourrait peut-être lui faire comprendre, qui réussirait là où moi j’avais échoué. Comme tu t’en doute, je n’étais pas la bonne personne pour lui faire comprendre qu’il devait arrêter de se sentir coupable, c’était de ma faute après tout s’il pensait de cette façon. Mais je n’ai pas réussi à le convaincre. Jusqu’au jour où il est rentré en m’annonçant qu’il avait rejoint le club de basket et qu’en plus de ça il avait choisi un coach. Sais-tu ce qui lui est passé par la tête ? Il a simplement vu ce Ken, son coach, son sempai, bref un type jouant au basket et sans véritable raison, il a l’a pris comme modèle. Oh ça, du Ken j’en ai mangé pendant des jours. Je le plains ce gars à devoir supporter mon frère qui le suit partout. Ce n’est pas gagné, il vient de gagner le gros lot, j’ai nommé : Jung Su le boulet. Mais d’un autre côté, il semble que cette trace de culpabilité dans son regard commence à disparaître. Dis Ken, si je te confie mon frère, tu l’aideras n’est-ce pas ? Je ne peux que l’espérer, moi, je ne le reverrai plus. J’ai décidé de retourner en Corée, d’oublier tout ça et de me reconstruire moi aussi. Il faut que tous les deux nous surmontions notre culpabilité…