Très différente de ce qu’elle était il y a un an, Kaori est une jeune fille aujourd’hui pleine de colère, supportant difficilement le regard que les autres peuvent lui porter. Un caractère très fort rarement, voire même pas du tout pris en compte, elle préfère aujourd’hui se taire plutôt que de faire face à l’indifférence des autres. Si bien que maintenant, ce n’est pas eux qui ne l’écoutent pas, c’est elle qui ne leur prête plus attention. Au bout d’un moment, on finit par se protéger comme on peut. Et c’est bien la seule solution qu’elle ait trouvée pour faire face aux moqueries ou à l’indifférence. Beaucoup trop fière, que ce soit avant ou aujourd’hui, l’adolescente a toujours préféré se débrouiller toute seule. Au moins, elle n’aura rien à devoir à personne. Gardant toujours tout pour elle, ne tenant plus à faire la moindre vague au lycée ou ailleurs, les moments où elle laisse ses émotions, colère ou tristesse, ressurgir, sont extrêmement rares. Elle ne tient pas à ce qu’on puisse la voir comme elle est aujourd’hui. Incomprise, elle agit parfois comme si le monde entier était contre elle, simplement parce que le sien l’est effectivement. La demoiselle, en une année, a perdu tout ce qu’elle avait. Amis, familles, statut, popularité. Ne lui reste aujourd’hui que quelques souvenirs, avec cette impression désagréable d’avoir subi une désillusion aussi violente qu’inattendue, aussi cruelle qu’injuste. Peu ouverte, parlant seulement si elle s’en sent obligée, Kaori fait aujourd’hui toujours preuve d’un calme contrôlé, histoire de ne pas exploser sur le premier passant qui aurait le malheur de croiser son chemin. Si vous la cherchez verbalement en revanche, ne vous attendez pas à ce que ses mots soient retenus. Elle a peut-être reçu une excellente éducation, mais elle sait quoi dire, et surtout comment le dire, lorsque quelqu’un se décide à s’attaquer à elle. Autre chose : la jeune femme est toujours très directe. Si elle a quelque chose à vous dire, elle ne tournera pas autour du pot pendant trois plombes. Perte de temps purement inutile.

Pourtant, elle est bien plus sympa qu’elle ne l’a jamais montré. Peut-être que cette dernière année lui a tout simplement donné une bonne leçon d’humilité. Fidèle aux – rares – amis qui sont restés à ses côtés, elle s’obstinera pourtant toujours à refuser leur aide, se contentant de leur soutien dans les mauvaises passes. Oreille attentive, toujours présente lorsque quelque chose ne va pas, Kaori n’est pas franchement adepte du « je ne fais pas ce que je n’aime pas qu’on me fasse ». C’est-à-dire ? Qu’avec ou sans l’accord de ses amis, elle s’arrangera pour les aider à sa manière. Soit discrètement. Mais elle le fera quand même. Aujourd’hui… On peut réellement parler de métamorphose radicale quand on la voit. Loin d’être mauvaise, elle apparait finalement comme étant une personne à la fois forte et fragile, mettant les autres sur le même plan qu’elle-même. Pourtant déterminée, elle est fermement décidée à retrouver la place qu’elle occupait avant dans ses établissements, persuadée que retrouver sa popularité pourra lui ramener tout ce qu’elle a perdu. Touchante, Kaori refuse obstinément de faire face à la réalité, préférant se bercer de nouvelles illusions. Qui sait ? Si on se persuade de quelque chose, on doit bien pouvoir finir par y arriver tout naturellement. Alors elle retrouvera famille, amis et popularité.

Une vie parfaite, sans le moindre problème. Voilà ce à quoi Kaori était destinée. Sa famille était riche, ses parents l’adoraient, fille unique, un brillant avenir semblait l’attendre dans la haute société. Sa vie était déjà toute tracée : elle ferait comme son père. Elle obtiendrait un diplôme en droit, hériterait de son célèbre cabinet d’avocats pendant qu’elle aurait aussi droit à l’argent de sa mère, issue d’une riche famille de l’aristocratie nipponne. Une enfance dorée dans un foyer conservateur à souhait, si bien que Kaori grandit au beau milieu des valeurs et des traditions purement japonaises. Aucune ombre ne vint noircir son beau tableau. Fréquentant toujours les meilleures écoles, la gamine remplissait parfaitement les attentes de ses parents. Intelligente, toujours très jolie, elle s’imposa le plus naturellement du monde parmi les enfants populaires de ses écoles. Les prétendants ne manquaient pas, et pourtant, la fillette repoussait toujours ses possibles amoureux. D’après sa mère, elle ne devait connaitre qu’un seul homme. Quand on vous dit que les Shimizu étaient et sont toujours très conservateurs, on ne plaisante pas. Ne faisant jamais le moindre faux pas, l’enfant qu’elle est encore prône les valeurs que ses parents lui apprennent. Si bien qu’on la verra pendant longtemps comme la jeune fille parfaite. Celle promise à un brillant avenir, qui épousera forcément quelqu’un de riche, beau, intelligent, drôle… Au collège, elle fait parti des « populaires », ceux qui nous font envie et qu’on déteste en même temps. Et si dans le fond, elle reste relativement gentille, l’envie d’être toujours au sommet la transforme en véritable peste. Et manipulatrice par-dessus le marché ! Parce que forcément, quand on est aimé, quand on est au sommet de l’échelle, on n’a pas envie de chuter. La popularité, ça a quelque chose d’additif.

Dès qu’elle entre au lycée, elle intègre le club des cheerleaders. Quoi de plus logique après tout ? Kaori a absolument tout pour y entrer. Plutôt jolie, dansant sacrément bien grâce à des cours payés par ses parents, incarnant des valeurs que la plupart des jeunes ont tendance à oublier comme l’abstinence jusqu’au mariage, elle n’a pas trop de mal à y trouver sa place. Au lycée se reproduit exactement le même schéma qu’au collège. Appréciée de tous, ou presque, ses notes sont toujours aussi excellentes, si bien qu’elle est aussi l’une des meilleures élèves de sa classe. Mais il faut bien que ce tableau parfait, sans le moindre problème, voire même agaçant tant il semble sans tache, soit gâché. Où serait l’intérêt sinon ? Eternelle célibataire, là où toutes les autres nanas semblent vouloir à tout prix sortir avec le plus beau garçon du lycée, elle fait l’indifférente. Pourtant, il y en a bien un qui lui plaît à ce moment-là. Attirance réciproque d’ailleurs, qui durera pendant un moment avant qu’il ne se produise quelque chose. Au début de sa deuxième année, elle perd sa virginité avec ce type, expérience qui va radicalement changer sa vie. Parce qu’elle ne se voit absolument pas avec lui, elle ne pense même pas à la possibilité qu’ils pourraient former un couple. De toute façon, quelque chose d’autre viendra bouleverser tout son quotidien. Nausées, fatigue et autres symptômes l’inquièteront suffisamment pour qu’elle aille s’acheter un test de grossesse, qui se révèlera positif. Gardant le secret pour elle, refusant l’idée de l’avortement malgré ce que ce genre de chose pourrait apporter dans sa vie, elle se tait pendant plusieurs mois. Elle continue ses activités, agit toujours de la même manière. Que ce soit au lycée ou chez elle, Kaori reste la fille parfaite.

Jusqu’à ce que la grossesse devienne voyante. Ses parents, aveugles, préfèrent prendre cette dernière comme une prise de poids. Au lycée, sa vie devient un enfer. Sujette à différentes rumeurs, toutes plus stupides les unes que les autres, elle se retrouve rapidement pointée du doigt et se voit contrainte de quitter les cheerleaders. On n’accepte pas de filles enceintes et hypocrites dans l’élite, ou quelque chose comme ça. Le père de l’enfant, lui, se dit prêt à accepter ses responsabilités pour qu’ils forment une famille. Sauf que sa décision est déjà prise : elle ne le gardera pas. Elle ira jusqu’au bout de sa grossesse, mais elle ne gardera pas l’enfant. Refusant son aide, elle doit bientôt faire face aux soupçons de ses parents. Et quand elle le leur avoue, c’est une véritable tempête qui s’abat sur elle. Foutue dehors, elle trouvera asile pendant un temps chez quelques amis restés fidèles, bien qu’elle soit toujours très mal vue de leurs parents. Montrée du doigt à l’école, déshéritée, son fabuleux destin s’évapore lentement pour ne lui laisser que la perspective d’un avenir minable. Seule chose plus ou moins positive qui reste à l’horizon : jusqu’à sa majorité, sa famille est obligée de lui payer ses études. C’est en essayant de ne pas faire attention aux autres qu’elle arrive à traverser cette période. Ils se moquent d’elle, la traitent de prostituée et autres, l’humilient publiquement ou font comme si elle n’était pas là, la bousculant dans les couloirs à la première occasion. Et elle ? Elle continue de venir. Pas le choix.

Vient le jour de l’accouchement. Parce qu’il faut bien qu’il y ait une fin au calvaire. Connaissant au moins la chance de ne pas perdre les eaux au beau milieu d’un couloir ou d’une salle de cours, Kaori met au monde son enfant sans le moindre problème. Elle restera à l’hôpital pendant plusieurs jours, durant lesquels elle rencontrera une femme ayant accouché d’un bébé mort né. Au bout de longues conversations, puisque l’adolescente ne veut pas garder le sien, elle acceptera de le confier à cette femme. A la condition que si son enfant désire un jour connaître sa vraie mère, cette même femme accepterait de lui donner au moins son nom. Malgré sa sortie de l’hôpital sans son bébé, c’est une nouvelle désillusion pour Kaori. Elle s’était imaginée retrouver tout, comme par magie, une fois que cette aventure serait terminée. Mais finalement, elle est aussi seule que quelques jours avant. Toujours en colère contre tout le monde, elle intègre l’internat de Jiyuu Gakuen en même temps qu’elle entame sa troisième année dans ce lycée, fermement décidée à retrouver ce qu’une mauvaise expérience lui a coûté.